0 Shares 2653 Views

Modigliani, un artiste pas si maudit qu’on ne le dit

Girard Aglaé 11 décembre 2021
2653 Vues

"Nu sur un divan", 1917, Modigliani

Lorsqu’on pense à Modigliani, l’image de l’artiste maudit nous vient rapidement en tête. On l’associe à l’alcool, la drogue et toute sorte de débauche. Un mythe s’est créé autour de l’artiste franco-italien du 19ème siècle, mais ne doit-il vraiment son succès qu’à sa vie de bohème ?

Amedeo Modigliani naît en 1884 en Italie, à Livourne. Dernier d’une fratrie de quatre enfants, il connaît une enfance parsemée de difficultés financières. Il s’émancipe assez tôt de ses parents, arrêtant les études à 14 ans afin de travailler son art à plein temps, mais subit sans cesse des soucis de santé. Durant sa vie, il réalisera environ 400 peintures mais en détruira la plupart. Il décède jeune, à ses 35 ans, d’une tuberculose et de divers problèmes pulmonaires.

Aux yeux de l’opinion publique, l’affaire semble conclue : Modigliani est un peintre alcoolique. Le succès de ses œuvres ne va donc qu’à la boisson et aux stupéfiants, comme si l’Italien n’était capable de peindre autrement que drogué.  Mais si nous sortions de ce manichéisme afin d’entrevoir les mérites de l’artiste plutôt que ses torts ?

“Nous avons des droits différents des autres, nous les artistes, parce que nous avons des besoins différents”

Cette phrase de Modigliani, extraite d’une de ses lettres à Oscar Ghiglia, collera à la peau de l’artiste toute sa vie. Si beaucoup le traitèrent de débauché, encore plus témoignèrent de son grand cœur et de sa lucidité.
La poétesse Anna Akhmatova, que le peintre fréquenta pendant une longue période assurait pourtant qu’elle “ne le vit jamais ivre et il ne sentait pas le vin” (lettre de la poétesse conservée au musée de l’Orangerie à Paris). Paul Alexandre, un vieil ami d’Amedeo témoigna lorsqu’on lui demanda si la réputation de l’artiste était vraie qu’il “ne dirait jamais assez que le vrai Modigliani n’est pas le garçon frénétique et délirant qui est devenu légendaire”. Au contraire, il se souvient “de sa gentillesse, de sa politesse, et sa correction” avant tout (correspondance épistolaire avec Modigliani conservée au Musée de l’Orangerie).

Alors, la réputation d’alcoolique de l’Italien qui lui colle autant à la peau ne serait-elle qu’une légende construite et colportée au fur et à mesure du temps ?
Dans le film Montparnasse 19 de Jacques Becker, nous voyons une scène ou le commanditaire de Modigliani l’enferme dans une pièce avec de l’alcool afin qu’il peigne. Cette légende fut contredite à de maintes reprises par la femme de Zborowski, le commanditaire, et de nombreuses autres personnes. Un autre exemple est le livre d’André Salmon sur la vie de Modigliani. Les critiques fusèrent contre cette biographie, qui présentait l’artiste comme un homme ni honorable ni recommandable. Paul Alexandre, médecin du protagoniste du roman, a notamment mis un point d’honneur à contredire en tout point son écrivain.
Si Modigliani a effectivement eu une fin tragique, certains ont aimé amplifier cet aspect, afin d’entretenir une légende d’un “peintre maudit”. Et si le seul vice de cet artiste n’était au contraire d’être un homme amoureux de l’art ?

Il ne faut pas oublier que Modigliani reçu une solide éducation artistique. Dès ses 14 ans, le peintre franco-italien arrête les cours afin de s’inscrire dans l’atelier de Guglielmo Micheli, une école impressionniste. Amedeo Modigliani peint bien, progresse vite. Rapidement, il quitte sa ville natale pour partir à Venise durant quelques années. Là, Modigliani peint dans des cafés, des restaurants ou encore sur les bords des quais. Il se met également à la sculpture, et crée ses premières statues. Petit à petit, le peintre acquiert une technique personnelle et crée son propre style. Suivant sa quête d’aventure, Modigliani arrive à Paris à 22 ans avec toujours de la soif d’apprendre. Là, il commencera même à écrire des poèmes et rédigera un certain nombre de lettres qui font maintenant partie de sa postérité.

“Portrait de Jeanne et l’enfant”, Modigliani

L’artiste vécut 35 ans pour son art : rien d’autre ne comptait autant à ses yeux. Suivant cette seule ligne conductrice, il ne se mariera jamais avec la femme avec laquelle il a eu 2 enfants, Jeanne Hébuterne, et prit des mois avant de reconnaitre leur première fille. Dans certaines situations, il but à outrance, et fut assez peu attentif à sa santé. Néanmoins, l’état de transe de ses créations fut la seule chose l’animant au cours de sa courte vie. Modigliani ne se facilita en aucun cas la vie. Afin de vivre pour son art, il se condamna à vivre dans le froid et la pauvreté, avec des conditions de vie misérable, qui engendrèrent une mort précoce. Dans une de ses nombreuses lettres conservées au musée de L’Orangerie à Paris, Amedeo Modigliani écrira à son ami Oscar Ghiglia “ton devoir est de ne jamais te consumer dans le sacrifice. Ton devoir réel est de sauver ton rêve. La beauté a aussi des devoirs douloureux…”

Aglaé Girard

Articles liés

Concerto pour violon de J. Brahms à la Salle Gaveau
Agenda
116 vues

Concerto pour violon de J. Brahms à la Salle Gaveau

Pour les amoureux de concert classique, la Salle Gaveau nous promet de la haute qualité avec un nouveau concert en mais avec J. Brahms et l’orchestre de CRR de Paris.  Au programme :  J.BRAHMS Concerto pour violon en ré...

Récital de piano avec Barry Douglas à la Salle Gaveau
Agenda
107 vues

Récital de piano avec Barry Douglas à la Salle Gaveau

Médaille d’Or du Concours Tchaïkovski en 1986, Barry Douglas se produit en récital sur toutes les grandes scènes du monde – du Royaume-Uni au Mexique, des PaysBas aux États-Unis. Il est l’invité de prestigieux orchestres, parmi lesquels le BBC...

Un « Dom Juan » sulfureux et maudit à l’Odéon
Spectacle
220 vues

Un « Dom Juan » sulfureux et maudit à l’Odéon

Projetant la pièce de Molière au 18° siècle, sous la tutelle du Marquis de Sade, Macha Makeïeff fait de cet anti-héros un prédateur sulfureux et languissant, interprété avec brio par Xavier Gallais dans un décor unique. Une course à...